VOIX

Quand le monde s’endort
j’ai mal à mes pareils
à leurs amours échevelées
au milieu de leurs affaires
leurs pieds bien engagés
dans une mare juridique
j’ai mal à leurs valises
autour du globe
ces habitués des solitudes
leurs fuites au noir
dans le jaune de l’histoire
ces verts-de-gris qui jasent
dans le blanc des jours
j’ai mal au pouvoir éhonté de leurs mains
quand tout se passe
comme si de rien n’était
j’ai mal oui j’ai mal
quand la nuit poursuit ses enfants trop sales
cachés dans le ventre des villes
leur table dépourvue de sens
oui j’ai mal à leurs seringues
aux vendanges trouées de leurs bras
spécimens des téléthons
petites monnaies
quand j’enrage
j’ai mal oui j’ai mal
quand sonnent les bourdons
du corps évidé des églises
j’ai mal aussi oui j’ai mal à vos absences
j’ai mal à mon désir
quand la pluie me pousse
vers les abîmes de mon corps
suspendu aux vôtres
j’ai mal à vos silences
ces intervalles prolongés entre vos mots
ces silences comme un souffle
qui perdure à l’entrée de mon âme
débordée par ce feu toujours lancinant
accompagnement de l’être
quand tout veut basculer
dans le néant

j’ai mal à ce qui remplit
le coeur de mes pareils
comme une voix qui monte
pour dire
j’ai mal

Huguette Bertrand – 1996 (Canada)

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